Ton avant dernier nom de guerre by Argemí Raúl

Ton avant dernier nom de guerre by Argemí Raúl

Auteur:Argemí, Raúl [Argemí, Raúl]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Rivages/Noir
Publié: 2013-04-29T22:00:00+00:00


8

J’ai dû me plaindre pendant mon sommeil. Toujours est-il que j’ai cru voir l’infirmière injecter un produit dans mon goutte-à-goutte. J’ai été réveillé par un flash et j’ai vu la femme découpée en ombres chinoises devant le journaliste qu’elle-même ou son alter ego poussait dehors.

J’ai voulu recouvrer mes esprits, en vain. J’avais rêvé que je volais, assis de manière instable sur l’aile d’un avion gris. J’essayais de planter mes ongles sur le métal poli pour ne pas tomber, mes mains saignaient. En bas, une mer de plomb et d’écume m’appelait de ses mille bouches affamées, le vent sur mon visage étouffait mes cris. Le vertige et la conviction que mon lit volait vers le désastre m’empêchaient de respirer. Peut-être les propos de la grosse faisaient-ils partie intégrante du cauchemar : « Il bouge, je vous jure qu’il parle et qu’il bouge, docteur. »

Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai mal partout, et seul un restant de fierté m’empêche de pleurer.

Il faut que je résiste. Le petit docteur a beau être persuadé qu’ici le Caméléon est bien soigné, il ne va pas tarder à leur claquer dans les pattes. Je dois m’emparer de son histoire avant que cela ne se produise.

J’ai besoin de mes mains ; même si je me les suis déchiquetées en m’agrippant à l’avion pour ne pas tomber dans le ravin.

Tout m’est revenu en bloc durant mon sommeil. Comme si les étagères de l’ordre s’étaient effondrées, mélangeant les récits du Caméléon et le souvenir de ma minable vie.

Chaque fois que je ferme les yeux pour éviter que la lumière ne me vrille la tête, je vois l’homme tombé dans le ravin de la descente des Mallines. Son visage est un gribouillis, quelques traits qui saillent à travers une cagoule en toile crasseuse, peut-être assombrie par la nuit et soulevée rythmiquement par son souffle fantomatique. Il parlait sans répit, comme s’il fallait à tout prix combler le silence. Et je l’écoutais comme jamais personne ne l’avait fait. Aussi attentif qu’une personne qui irait au cinéma pour la première fois. Avec l’avidité d’une éponge.

Non. C’était lui qui absorbait mes paroles et mes gestes comme s’il voulait les retenir à jamais.

J’ai beaucoup parlé, nous avons beaucoup parlé, c’est vrai. Et je n’ai aucune envie de me souvenir de ce que nous nous sommes raconté. Un raté imbibé d’alcool, c’est généralement bavard au point de devenir soûlant.

J’ai mal à la tête, et, pendant ce temps, y en a qui font la bringue de l’autre côté de la porte.

— Bande d’enfoirés. Vous me prenez pour un putain d’Indien ou quoi ? ai-je tenté de crier, ne parvenant à émettre qu’un crissement de dents et une onde de fureur qui a parcouru tout mon corps.

Cette vaine colère m’a fait du bien. L’adrénaline est venue combattre le sommeil qui coulait dans mes veines, et j’ai pu communiquer avec le Caméléon pendant un bon moment.

Je n’ai pas réussi à en tirer grand-chose, pourtant. Je lui ai posé un tas de questions, mais il n’en a fait qu’à sa tête.



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